Là où il y a du gène, y’a pas de logique

Mon père est orphelin. Pas de quiproquo possible, mon père n’est pas né orphelin, il l’est devenu comme tous, nous le deviendrons un jour par la force du temps qui passe et qui pousse nos aînés vers la sortie. Certaines personnes le vivent mieux que d’autres, mais que cela soit à 10, 30 ou 60 ans, perdre ses parents peut causer un choc irrémédiable sur des neurones fragiles.
 
Mon père s’ennuie. Il est à la retraite depuis presque 6 ans, et peu d’entre nous connaitrons cet état d’en avoir fini avec le travail et de se reposer au crépuscule d’une vie bien remplie. Certaines personnes parviennent à combler cette absence d’agenda soudain, d’autres s’emploient à des recherches généalogiques frénétiques afin de se raccrocher à leurs racines alors que les leurs se desséchent sous l’action de l’inaction.
 
Tout au long de sa carrière professionnelle, ayant débuté ardemment à 14 ans dans une usine pour se terminer peinardement à 58 ans au service d’une sous – préfecture, j’ai toujours vu mon père faire des listes ; non pas comme ce Dantzig qui étale crânement sa culture face aux pauvres ignares sans référence que nous sommes, mais des listes de ses cassettes, de ses livres, de ses Bd, de ses Dvd, de ses enfants aussi pour penser à eux parfois ; des listes alphabétiques, des listes par auteur, des listes sans cesse recommencées comme Pénélope perdait son fil afin de retarder son inexistence ; des listes manuelles puis le progrès venant, des listes informatiques qu’un logiciel fraisait au guise de ses envies.
 
Mon père avait déjà tenté de dessiner les branches d’où il descendait, de deviner l’origine de son patronyme, de définir la géographie de sa lignée. Mais cette marotte ne surgissait que lorsqu’une liste était terminée et qu’il peinait à trouver la tournure de sa prochaine oeuvre. Le désir était flou et la vie riche de classifications. Puis sa mère mourut et tout s’accéléra.  Est – ce le rappel de la fragilité de l’existence, de sa propre morbitude (où la bravoure flanche), l’ultime abandon maternel, la fin d’un espoir de réconciliation, le souvenir d’une enfance fragile, l’envie d’un enrichissement générationnel, mon père sombra corps et âme dans la généalogie et frénétiquement se mit à parcourir les registres municipaux, les cimetières enfouis et les lubies ancestrales.
 
Il devint totalement fou lorsqu’après maintes compulsions, tatonnements, questionnements des ancêtres survivants, il se rendit compte que j’étais revenu habitée par le plus grand des hasards là où naquit pour la deuxième fois ma grand mère (atteinte de la typhoïde, elle n’en mourut point car sa mère, mon arrière grand mère donc, la plongea pendant 9 jours dans un bain d’eau miraculeuse provenant de la fontaine située à 500 mètres de ma maison ; mon fils y plongea lui aussi, le seul miracle accompli fut que je parvins à l’attraper avant qu’il n’atteigne le fond du puits). Il y vit un message des dieux de la famille et se plongea avidemment dans les arcanes labyrinthique d’une famille peu banale, puisqu’elle était la sienne.
 
Heureusement pour lui, et pour ma mère qui voit à son tour s’approcher l’heure de sa retraite et qui appréhende de savoir comment attirer l’attention d’un homme qui ne fantasme plus que sur ses aïeules, les branches se cassent les unes après les autres. Ici, la mairie a brûlé, anéantissant avec elle naissances, décés, mariages susceptibles d’éclairer une filiation problèmatique ; là, l’enfant est né de père inconnu, même si un buron est suspecté d’avoir trempé dans l’affaire….
 
(j’ai été interrompu dans mon récit pitopathétique par une dame recrue mais obligée d’interroger 5 personnes sur les intéressants tenants et aboutissants de la consommation de margarine ; j’ai bien voulu servir de pis aller, attendrie par ses larmes devant ses échecs successifs. Sondage très rapide mais peu représentatif de ma personne puisque cette gentille personne a répondu la plupart du temps à ma place sauf lorsqu’il s’est agit de donner la composition de ma famille)
 
J’ai quand même participé à cette recherche, déjà en m’efforçant de me passionner pour les trouvailles d’un père qui vient de se découvrir une histoire mais également en corrigeant toutes les fautes d’orthographe émaillant la retranscription, soit – disant animée, d’un arbre dont je suis supposée prolongée les racines (j’avoue que je n’ai pas tout compris dans le diaporama qui m’a été diffusé, vu que j’étais plus à la chasse des fautes grammaticales que des fautes conjugales. Je sais que ça a abouti à ma création mais je ne suis pas sure que c’était vraiment l’enjeu espéré de toutes ces rencontres périlleuses et peu fiables ; heureusement, pas de personnages illustres, nous n’avons donc pas déchu si nous n’avons pas notre place au Panthéon).
 
J’ai été rassurée quant à mon hérédité puisque je sais d’où vient ma propension à donner des prénoms bizarres à mes enfants : j’ai une ancètre qui s’appelle Léocadie et une autre Amarice et pleins de Pierre évidemment pour casser l’ambiance. Mon frêre lui même qui s’est bien moqué de mon excentricité n’a pu échapper à la fatalité et a prénommé son fils Laël (hein, Pascal, tu te souviens des ricanements que tu as proféré quand tu as appris que mon dernier né s’appelait Marcus ; et Laël, c’est pas ridicule !). Ma soeur nous a, elle, dignement doté d’une riche descendance de chats plus noblement castrés les uns que les autres, ce qui évitera des reconnaissances en paternité à même de ruiner la réputation de notre loyale famille. Notre devise est "Plus long sera le bras, plus longue sera la liste".
 
Que l’on ne se trompe point, je ne suis pas en train de soutenir l’abolition de la retraite afin d’empêcher que nos mairies soient submergées par des papys obsédés par la regénérescence avant la sénelescence. Je ne dis pas que travailler plus longtemps nous empêcherait une fois vieux de noyer notre vacuité dans des recherches futiles et désespérées. Je dis juste que mon père ferait mieux d’emmener maman au restaurant plutôt que de nourrir ses lubies.
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Un commentaire pour Là où il y a du gène, y’a pas de logique

  1. michele dit :

    n as tu pas pensé que papa pourrait lire ça ou bien l as tu fais exprès ??(pas sur de l orthographe du dernier mot)ps : mes chats sont très bien et le futur arrivant sera un chat de trés grande qualité

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