Croc en pied

Il ne faut jamais dire jamais.

Comme De Gaulle n’a jamais dit « vive l’Algérie française » (puisque selon ses transcripteurs officiels, ce n’était que l’effet de Larsen), je n’ai jamais dit : « si tu me vois avec des crocs, tue-moi« .

Pourtant je ne m’imaginais pas, moi, femme au style qualifiée, par les modeuses averties, d’insolite (les modeuses averties étant ma fille et ses copines, pour qui le jean est un modèle d’élégance unique, ce qu’il est peut-être (si unique signifie « cherche la taille désespérément »), mais vu que je n’entre plus dedans depuis que mes cuisses dépassent le cercle du hula hoop, je le trouve vintage plombant), pouvant être appareillée avec 6 paires de chaussures, dont trois jamais mises faute d’orteils incompressibles, avoir LES CROCS.

Pour ceux qui, comme moi, avant don philantropique et humiliant de ma mère __ qui ne m’a jamais pardonné de n’avoir pas mis plus de 20 mn pour sortir de son ventre, l’empêchant ainsi de surenchérir, avec d’autres vétérantes, sur les affres inqualifiables, les épisiotomies incicatrisables et autres anecdotes pittoresques d’un accouchement, ridiculisant ainsi n’importe quel homme souhaitant décrire sa douleur lombaire (heureusement pour elle, mon frêre s’est surpassé, et nous avons le droit régulièrement d’assister à sa scène de gloire quand, fièrement, elle décrit les sauts de lutteur qu’a effectué, sur son ventre encore rebondi, une sage femme désireuse qu’elle expulse un placenta récalcitrant ; ma fille m’a frustrée également d’une telle apothéose… la vengeance est héréditaire)__, ne savent pas ce que sont des crocs et n’ont pas assisté, en ermites cloitrés dans une grotte juste munie de la connexion internet leur permettant un infime passage lumineux jusqu’à ce paradisiaque blog incitant à la méditation transcendentale (autre façon de traduire le proverbe « qui dort, dîne »), à la sortie barbaracartlandesque d’une Roseline Bachelot, au temps où elle n’était qu’une simple speakrine et n’avait pas encore obtenu, grâce à un ami de son ex-patron, le droit à la parole (bien que depuis ce droit ait été considéré comme largement surévalué), je les décrirai de la façon suivante :

sorte de baignoire en plastique permettant aux pieds de flotter au gré de mouvements saccadés causés par la perte de toute dignité.

Ils ont l’avantage d’arborer différents coloris (les miens sont bleu lavande avant que la lavande ne prenne une teinte violet coquelicot), plus néfastes au teint les uns que les autres, ce que permet de les assortir avec les poubelles.

Il parait que l’on est bien dedans. Je ne sais pas, je n’ai réussi pour l’instant qu’à y entrer mes pieds, ne souhaitant pas me rabaisser davantage.

Vous me direz que je ne suis pas obligée d’en affliger mes extrémités pédestres et, après avoir remercier gentiment ma mère d’un « j’aurai préféré que tu me déshérites« , je pourrais me contenter de les fourrer dans le placard de Narnia (placard baptisé ainsi parce qu’une fois une chose rangée dedans, il vaut mieux ne plus y toucher de peur qu’elle ne soit suivie pas une succession d’événements plus rebondissants les uns que les autres) et les oublier, jusqu’à ce qu’une odeur suspecte ne contraint des archéologues à déterrer une espèce de barge creusée dans du mauvais plastique, certainement métaphore des liens infinis existant entre la mer et le ciel permettant aux corps terrestres de se fondre dans le coastrum liquide, grâce aux canaux spasmophiles du grand Sabot universel.

Mais non, j’assume ce que pense de moi ma mère (j’attends qu’elle soit vieille pour la forcer à porter des bas mi-mollet et une permanente bleu azur avant que l’azur ne se couvre de taupe anti-tabac…je ne sais pas qui donne les noms aux couleurs, mais soit le responsable n’est jamais sorti de chez lui, soit il nous emmerde tous), je suis solidaire de ces pinguoins ubuesques qui pensent que l’on peut être mal chaussés sans botter en touche.

Je regrette juste que ces crocs ne soient pas conciliables avec mes rêves de hauteur car je ne parviens pas à monter les escaliers avec. Je serai donc la ridicule du rez-de-chaussée, en attendant de me conforter auprès de mes congénères aux panards dégénérescents, fiers de présenter une allure de sportifs pas plus de 2 mn sinon mes godasses ne suivent plus. Et je n’aurai plus peur des merdes qui jonchent nonchalamment les trottoirs, puisque mes crocs en feront parties.

 

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