Noire Encre

Il était une fois, dans un château majestueux mais silencieux, une reine si seule et désolée de ne point avoir d’enfant à cajoler. Tous les jours, elle se penchait à sa fenêtre et laissait son regard erré sur les silhouettes dépenaillées et faméliques des enfants du village qu’elle pouvait apercevoir de sa hauteur. Ces enfants jouaient à chat percé sur les tas d’immondices qui parsemaient les rues dépourvus de tout – à – l’égoût, tapaient dans des boites de conserve rouillées et criaient de joie, sautant, se trémoussant de façon endiablée au risque de perdre leurs souliers dépourvus de lacets et parfois de semelles, lorsque l’objet en fer tout déformé rebondissait bruyamment sur la porte d’une femme acariâtre surnommée "la sorcière aux milles verrues et aux quatre sabots" qui alors, surgissait, ses cheveux dressés tels la foudre de l’enfer, maudissant cette ouaille et leurs parents jusqu’à la vingtième génération.
La reine se désolait de cette jeunesse gaspillée alors qu’en son giron, point de bourgeon pour la combler, juste la sécheresse stérile d’un ventre arrondi seulement du fait des friandises offertes par un souverain essayant ainsi de la consoler de n’être point capable de lui donner le titre de mère. Elle passait ainsi sa journée de la fenêtre à son lit, du fauteuil à sa table, se déchirant l’âme en jalousant le bonheur parental de ses sujets et la santé par l’ingurgitation de sucreries qui ne remplissaient que le portefeuille de son patissier.
Une nuit noire sans lune, s’étant réveillée moite et pleine d’une angoisse sans fin, étouffant sous le vide qui enserrait son coeur, elle ouvrit en grand la fenêtre qui accablait sa tragédie, se saisit d’un ciseau et coupa ses mèches de cheveux une à une, les lançant au gré d’un vent faible mais ascendant, scandant dans une langue apprise alors qu’elle était toute petite auprès d’une mère dont elle ne se rappelait que le parfum  entêtant, voire écoeurant au point qu’encore, lorsqu’il lui semble fleurer cette fragrance, la tête lui tourne, ses membres tremblent et elle doit se précipiter aux cuisines pour se couvrir le nez d’une bonne tranche de pain fraichement coupé. Ses fils dorés, séparés de leurs racines, s’élevèrent jusqu’aux nuages qui transparaissaient dans l’opacité ambiante et se réfugièrent en leur sein. Un grondement d’abord indistinct puis enflant au fur et à mesure que le vent se déroulait et charriait de plus en plus rapidement cette semence fileuse vers les formes ouateuses et fécondes. Puis le silence s’installa, plus un souffle, plus un seul mouvement, juste le noir devenu complet. La reine prit peur et voulut fermer la fenêtre pour pleurer sur son sacrifice capillaire, mais une bourrasque soudaine la projeta parterre, jambes écartées, jûpe relevée, larmes amères. Un puissant rayon de lumière l’inonda, l’aveugla. Elle s’évanouit.
Lorsqu’elle reprit vie, elle reposait dans son lit de satin. Elle interrogea ses bonnes mais aucune n’était entrée dans sa chambre sacrilège puisqu’elle ne les en avait point sommé. Non, elles n’avaient rien entendu de suspect, la lune était bien blanche cette nuit et auraient aperçu quiconque se serait osé à approcher de al couche royale. Quant au roi, il était à la chasse et n’en reviendrait pas avant deux semaines, le temps d’engrosser quelques peu ses affaires. Seule la coiffeuse eut du mal à contenir son effroi à la vue du crâne de la reine et hésita entre donner sa démission pour ne pas subir un courroux certain qui allait la désigner comme l’origine de cette nouvelle infortune ou relever le défi et le chignon par la même occasion. Elle s’en fut chez le meilleur perruquier et en revint avec un postiche plus vrai que nature qui ravit la reine au point qu’elle la nomma sa coiffeuse officielle, ce qu’elle était déjà mais la jeune femme prit cette distinction comme elle était : la promesse qu’au moins demain, on aurait  besoin de ses services.
Le sourire vint sur les lèvres de la reine qui se permit quelques sorties pour que chacun puisse admirer sa mise et ses formes qui s’arrondissaient. Si certains se mirent à jaser sur cette soudaine grossesse qui survenait alors que le présumé père était absent, la plupart n’en firent pas commentaires car ne reconnurent pas leur reine dans cette femme si grossièrement affublée. Lorsque le roi revint de sa chasse pleine de jouissance et de batards en puissance, il prit la chose avec grâce et organisa un grand banquet afin que les princes alentour s’ébaubissent de sa virilité confirmée. Il pavana ainsi toute la soirée, serrant tendrement une femme qu’il avait quelque peu négligée ces derniers temps et lui promit que leur enfant serait le plus beau de tous, devait – il pour cela se battre en duel avec tous les pères prétendant hisser à ce sommet leur propre rejeton.
Les douleurs transpercèrent la primipare en pleine nuit, elle hurla àfaire sursauter le roi qui causait recette de la crêpe flambée à une jeunette égarée. Il accourut vers sa régulière et voyant que son héritier pointé fit mander en toute urgence la sage femme qui, déjà alertée par les cris stridents, cognait contre la porte du château afin qu’on veuille bien lui permettre d’exercer son métier. Les gardes, aux ordres du roi, cessérent de se moquer de sa mallette noire et l’escortèrent jusqu’à la première dame de compagnie qui la mena prestement au lieu où la délivrance se précisait.
Le roi patientait vaillamment, stoiquement, à côté, expirant, inspirant, bombant le torse, effectuant quelques foulées, sous les yeux admiratifs de la cour, s’extasiant de son courage et de sa volonté à ne point montrer son désespoir devant la souffrance que connaissait sa tendre épouse. Soudain, tous les regards se braquèrent d’un seul homme sur la sage femme lorsqu’elle sortit, épuisée pour annoncer au roi qu’il était le digne père d’une très belle petite fille. Ne tenant plus de joies, ce dernier allait rejoindre sa dulcinée lorsque l’accoucheuse se permit de l’accrocher par la veste pour lui murmurer de bien vouloir demander à sa cour de se retirer pour qu’il puisse profiter en toute intimité de la vue de sa nouvelle née afin d’envisager des voeux qu’il pourrait lui accorder. Le roi ne comprit rien au discours maix excédé de ce lèse – majesté congédia tous les témoins de la scène pour se promettre d’en châtier quelques uns.
Il entra doucement pour ne point heurter la scène qui s’offrait à lui, d’une femme épanouie quoiqu’un peu pâle serrant tendrement dans ses bras la plus….noire des filles qu’il ait jamais vu. Estomaqué, il s’arrêta pile, vérifiant qu’il était seul, qu’il n’y avait pas une caméra cachée, un plaisantin ayant remplacé son enfant chéri par un poupon factice. Ne voyant rien de tel, il s’approcha, posa doucement sa main sur le corps sombre, constata qu’il respirait, prit peur, réveilla sa femme, lui demanda qu’elle était cette horreur et où donc avait elle trouvé le moyen de fauter avec un nègre alors que sa première mesure fut, lorsqu’il monta enfin sur le trône, alors qu’il commençait à désespérer vu que son père ne se décidait pas à rejoindre l’autre monde, mais heureusement un décret fut voté, révoquant les rois qui parlaient à leur porte feuille, de refouler à la frontière tous ceux qui étaient sans teint blanc.
Il referma les rideaux sur la scène, héla son meilleur coursier, lui fit signer un contrat de haute confidentialité sous peine d’être condamné à ne plus apparaitre à la télévision à ses côtés lors de son allocution annuelle et l’envoya quérir un bébé fille dans le proche village pour effacer son ignominie. Et pour obtenir la permission de la mère, qu’il l’enferme dans le plus profond des cachots afin qu’elle en discute avec les rats.
Moins d’une heure plus tard, le chevalier revint avec un fort gaillard de six mois et toute une meute de paysans curieux. Ils furent bien sceptiques lorsque le roi leur déclara que c’était sa fille nouvelle née puis s’en retournèrent aux champs, bien contents de n’être point sur la liste des futurs prétendants à la main de la donzelle qui promettait d’être particulièrement peu attrayante.
La reine s’accrocha aux langes de sa fille lorsque le roi voulut lui confisquer l’objet du délit. il essaya de la raisonner mais comme elle ne voulait rien entendre, il prit la première soubrette venue, l’habilla en reine et fit expulser à grands fracas la détrônée et son ballot noir, leur interdisant à tout jamais l’entrée de son palais. C’est ainsi que le roi présenta à une Cour peu regardante une reine plus petite et plus maigre que la veille, un nourrisson bien charpenté qui deviendra une jeune fille condamnée à se raser la barbe.
Quant à l’ancienne reine, elle se réjouit chaque jour en voyant grandir sa magnifique enfant, grimpant toujours plus vite que les autres aux sommets des tas de détritus.
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